|
TU
LONG
évoque sa liberté d’ermite taoïste à travers des aphorismes inspirés
par le bouddhisme. Ces « Propos détachés
du
Pavillon du Sal »
méritent le détour malgré le fait que ce livre soit épuisé pour le
moment
(en occasion sur certain site ?).
Mais pour le plaisir de tous, vous trouverez sur cette page quelques
morceaux choisis que vous apprécierez, j’espère, à leur juste
valeur.
Traduits du chinois
et
présentés
par Martine Vallette-Hémery
La
littérature chinoise a toujours cultivé l’adage ou toute forme brève
et balancée conforme au génie d’une langue monosyllabique et musicale ;
mais à la fin de la dynastie des Ming, au dix-septième siècle,
l’aphorisme devient un genre en soi. Sans doute permet-il d’exprimer
à demi-mot, sous un gouvernement autocratique et policier, un art
de vivre qui est aussi un art de survivre.
Mandarin retiré, TU LONG (un de ses
surnoms est Ermite du pavillon du Sal,
le sal étant un arbre indien au bois précieux) fut d’abord un
fonctionnaire
efficace, doublé d’un écrivain brillant aux talents multiples. Après
être destitué, il se retire définitivement, au risque de vivre dans la
pauvreté, et se tourne vers le bouddhisme. Ses lettres proclament
cependant une aversion réelle pour la vie dans la « poussière »
de la capitale et une nostalgie très forte des paysages de la nature.
Voici
ce qu’il écrit dans la préface :
« Désœuvré dans mon jardin, j’éprouvai
le besoin de m’occuper.
J’eus recours à la méditation et soudain, pris d’inspiration, je
saisis de l’encre et un pinceau et me mis à tracer en désordre des
pensées diverses…
Elles devraient dérider les mélancoliques et calmer les passionnés
comme s’ils respiraient une brise rafraîchissante… »
|
|
|
La
poussière des routes et les remous des fleuves
je les laisse aux notables.
Les fleurs au clair de lune et les pins rafraîchis
par le vent j’y installe mon oreiller.
En
vieillissant on sait que tout est joué, peu
importe que les gens aient tort ou raison.
Et au printemps on n’a plus qu’une affaire,
voir les fleurs éclore et se faner.
Aucune
chose n’est impérissable ; encore
moins notre corps, ce balourd sac de peau.
Tout ce qui a forme la perdra, mais a-t-on
jamais vu un ciel décomposé ?
|
|
|
Tout
promeneur savoure les teintes de l’herbe
et le parfum des fleurs.
L’homme averti saisit l’impermanence à travers
l’éclosion et la chute des fleurs.
Se
pencher sur son reflet solitaire dans un
étang et s’amuser à regarder les poissons
agitant l’eau de leurs bonds.
Suivre dispos et nonchalant les détours d’un
sentier et voir soudain une pousse d’orchidée
sortir de terre.
La perfection existe dans l’infime et le plaisir
n’en est que plus fort.
Un ciel qui retrouve sa pureté après la pluie
révèle la force irrésistible d’une merveilleuse
efficace.
Les oiseaux et les nuages qui vont et viennent
expriment la réalité absolue de chaque nature.
|
|
|
Marcher
le long d’une haie, avec de bons
souliers et un bâton, en compagnie d’un moine,
tandis que des pétales de fleurs se posent sur nos
têtes…
S’asseoir sur une pierre, avec du thé et du vin,
en compagnie d’amis, tandis que des aiguilles
de pin tombent sur nos vêtements…
Prendre
une pose nonchalante, comme perdu
dans sa méditation, tout en écoutant de brillants
lettrés faire assaut d’éloquence.
Tenir sa coupe, la main ferme et l’esprit lucide,
tout en regardant les buveurs se vautrer dans
l’ivresse.
Mangeons
quand nous avons faim, un plat
de légumes sera plus délectable qu’un mets
recherché.
Couchons-nous quand nous sommes fatigués,
une natte de paille sera plus douce qu’un épais
matelas.
|
|
|
L’homme
accompli s’éloigne en esprit sans
s’éloigner d’un lieu. Même s’il y demeure son
esprit est toujours libre.
L’homme ordinaire s’éloigne d’un lieu sans
s’éloigner en esprit. Même s’il le quitte, son esprit
y reste attaché.
Épanouir
ses talents et ses vertus comme de
jeunes fleurs, jardin printanier sous une brise
ensoleillée. Porter ses cheveux blancs comme
un arbre ses feuilles rougies, forêt automnale
au paysage encore plus somptueux.
On s’affaire aujourd’hui, en un clin d’œil
on est déjà demain. À peine est-on demain
que cet aujourd’hui semble déjà loin.
La longévité en ce monde n’atteint guère cent ans,
nous vivons le temps d’une respiration.
Ne faisons pas de lointains projets.
|
|